Nous sommes dans une salle de conférence en ce beau mercredi après midi. Deux représentants du client potentiel y sont assis, deux consultants et moi même. J’y été invité , à la demande de l’un de mes coachés qui m’a demandé d’assister à la rencontre pour mieux comprendre ce qu’ils pourraient améliorer dans leur performance dans la signature des mandats. Il m’avait expliqué pendant de nombreuses heures, avec un grand nombre de détails, comment ils avaient présenté de un grand nombre d’offres au cours des mois, et que pour des raisons toujours très justifiées, mais au final assez floues les choses n’arrivaient pas et les mandats étaient confié à d’autres. « Il y a certainement quelque chose que nous ne faisons pas de la bonne façon. Je ne peux pas croire que cela ne fonctionne pas. Nous travaillons vraiment très fort, et le développement des affaires est dans nos priorités. Par contre, les gens « ne closent pas », les mandats vont ailleurs. J’aimerais cela que tu observes comment travaillent mes gens, et tu me diras ce qu’il faut que nous améliorions, car moi je ne vois plus… »
Je me retrouve alors dans cette salle de conférence. On m’a expliqué au préalable que ce client potentiel est une référence d’un influenceur de marché, ami de l’un des consultants. Cet influenceur de marché avait alors expliqué au consultant que selon lui, cette entreprise serait dans une démarche de révision de ses processus de sa chaine d’approvisionnement. En ce sens, les deux consultants avaient gagné le droit d’avoir une première rencontre d’exploration avec les clients potentiels. Donc pour l’instant tout va bien.
La rencontre commence par les modalités habituelles, naturelles et tellement importantes lors d’un premier véritable contact. L’un des consultants prend alors la parole.
« Nous vous remercions d’avoir accepté cette rencontre. Comme vous le savez, suite aux discussions que nous avons eues avec Monsieur Untel, nous avons appris que vous aviez un projet de restructuration. C’est bien cela? »
« Oui effectivement. Nous regardons comment nous pouvons améliorer notre rentabilité dans notre centre de distribution. »
« Bien sûr. À ce sujet, nous vous avons préparé une présentation qui relève de l’expérience que nous avons dans des projets de ce type. Nous connaissons très bien ces situations et voici ce qu’il faut faire et ne pas faire… Voici si vous prenez la page 3 du document que vous avez devant vous…»
Et voilà que les consultants sont maintenant dans leur zone de confort. Ils commencent alors à expliquer en long et en large leur rhétorique et leur méthode de travail. Une longue heure de monologue, ou plutôt de dialogue entre les deux consultants, qui se relèvent, l’un après l’autre, sur des points précis. La présentation est bien rodée, et visiblement ils ont travaillé très fort au préalable. Les notions sont claires, les arguments sont punchés. Rien à redire de la présentation elle même.
Pendant ce temps, de mon côté, j’observe les clients potentiels. Visiblement, leur intérêt est très important lors des premières minutes, mais les regards commencent à devenir fuyants au fur et à mesure que la présentation se déroule. Leur écoute décline de minute en minute… Quelques questions sont posées, en voici quelques exemples et les réponses.
CLIENTS : « Oui, c’est intéressant cette partie, mais pourriez-vous nous dire ce que vous ferez concrètement. »
CONSULTANTS : « Oui oui, nous y arrivons. Mais avant regardons ensemble le modèle 2.4 qui explique la logique derrière les actions… »
CLIENTS : « Oui, mais notre entreprise n’est pas une multinationale, nous n’avons pas besoin de tout cela? »
CONSULTANTS : « Oui nous savons, mais ces étapes doivent être suivies quand même ».
CLIENTS : « Vous nous parlez d’un gros projet là! »
CONSULTANTS : « Oui, mais si nous voulons avoir des résultats, il faut tout changer »
Et c’est reparti.
Les clients potentiels tentent de suivre les notions au fur et à mesure que la présentation se déroule, mais de mon côté d’observateur, je remarque que les deux consultants passent à côté de la plaque complètement. Les clients potentiels ne sont plus là, ils sont déjà partis dans leur esprit… Mais, les consultants ne le voient pas…
La présentation se termine avec le traditionnel « avez-vous des questions? » ce que les clients potentiels déclinent poliment et la présentation se termine par un « nous vous remercions, et nous vous rappellerons bientôt »…
Un peu plus tard, lors de la séance de débrieffing , je demande aux consultants leurs impressions de la rencontre. Ils me disent « très bien, je crois que nous avons fait une belle présentation. Elle était très bien et les arguments punchés.»
Ils me demandent « Toi qu’est-ce que tu en penses? » Candidement, je leur réponds « je ne crois pas que nous aurons une réponse favorable… » Consternation…
***
L’écoute… Quel concept galvaudé en ces temps-ci. Tout le monde vous dira que le plus important est d’écouter plutôt que de parler. Mais qu’en est t’il de la véritable écoute. Est-ce que nous écoutons vraiment, ou sommes nous trop pris dans notre discours et notre réalité pour voir que les autres n’écoutent plus… En particulier lorsque c’est nous qui animons la discussion.
Dans l’exemple, les deux consultants avaient visiblement bien préparé leur présentation. Et je dirais qu’elle était assez impressionnante, tant au niveau du contenu que du contenant. Mais il manquait une chose essentielle, encore plus importante que le contenu et le contenant, l’écoute…
Les deux consultants, si absorbés dans leurs éléments, n’ont pas vu que les deux clients potentiels ne les écoutaient plus du tout, que visiblement, après le premier 15 minutes, les clients potentiels étaient ailleurs. Que les questions des clients potentiels signalaient qu’il était le temps de quitter le schème et d’aller ailleurs. Les questions, encore plus évidentes que leur « body language » témoignait de l’inconfort des clients potentiels.
Surtout que les réponses que les consultants n’étaient pas fausses au fond, mais témoignaient simplement qu’ils n’avaient pas compris ce que le client potentiel voulait dire. Ils maintenaient le rythme de la présentation. Des réponses plus candide, plus ouverte du genre « que voulez vous dire? » , ou « expliquez-moi ce qui vous fait dire cela? » auraient été plus appropriées.
Ainsi, je suis persuadé que lorsque le client potentiel a posé une question sur les actions concrètes, il voulait en fait au fond en connaitre plus sur la façon de travailler des consultants. Les questions sur l’amplitude des projets témoignaient beaucoup plus d’une crainte au niveau financier ou des impacts sur l’entreprise qu’autre chose. Certainement pas sur le processus lui-même…
Mais confortable dans leur schème, les consultants maintenaient le rythme de la présentation en ne répondant pas vraiment aux véritables préoccupations de ces clients potentiels. Au fond, ce que les consultants envoyaient comme message est « nous vous expliquons ce qu’il faut faire, écoutez nous et nous vous guiderons. » Alors qu’au final, je ne crois pas que les consultants avaient un opinion si tranchée.
Alors si je vous demande :
N’avez vous jamais fait de présentation qui vous a semblé excellente, mais qu’au final, rien ne se soit passé?
Lorsque vous êtes dans un processus d’influence, connaissez-vous véritablement les arguments et les contre arguments? Les avez-vous validés?
Êtes-vous persuadé d’avoir bien compris ce que les gens tentent de vous dire? En êtes-vous certains?
Est-ce que vous vous êtes retrouvé dans une situation ou votre écoute était limitée? Avez-vous fait un jour du « présentéisme »? Votre corps y était, mais votre esprit ailleurs?
Lorsque vous vous retrouvez avec un client potentiel, est-ce que vous êtes préoccupé par la qualité de VOTRE présentation plus que les préoccupations des CLIENTS EUX MEMES?
Êtes-vous persuadé dans les premières minutes de votre rencontre que vous savez exactement ce dont il a besoin? Vraiment persuadé…?
Que faut-il faire maintenant ?
Que nous soyons dans un processus de développement des affaires, ou dans un processus d’influencer une décision, il est essentiel de comprendre quelles sont les véritables motivations qui se cachent derrière les arguments. Sortez de vos présentations et de vos messages, vos discours et vos « buzz word » et commencez par écouter véritablement.
Comment savoir si nous écoutons véritablement ?
Personnellement, j’applique toujours la « règle des 3 » soit :
Posez la même question 3 fois à 3 personnes différentes et/ou à la même personne 3 fois à des moments différents et/ou à 3 groupes différents… Validez toujours les réponses reçues 3 fois. Et si vous avez 3 réponses semblables, c’est probablement vrai. Sinon, cherchez encore.
Finalement, on parle beaucoup de l’écoute, mais on parle rarement de la qualité de l’écoute. Parlez moins et écoutez mieux, vous pourrez ainsi répondre à la BONNE question.