En ce beau dimanche neigeux de Paris, j’ai eu la chance extraordinaire d’avoir une réflexion avec une amie sur le « groupthink » ou la « Pensée de groupe » en français. Dans une ère où les médias sociaux sont de plus en plus nombreux, ou les gens ont la possibilité de s’exprimer comme jamais, une ère où tous peuvent se permettre de prendre la parole afin d’exprimer son opinion, j’ai l’impression cependant que le débat se raréfie, et que la discussion devient de plus en plus vide de sens. En fait, j’ai l’impression que les gens parlent de plus en plus, mais pour dire les mêmes choses, sous une quantité d’angles différents. De plus, j’ai l’impression que plus les gens parlent, moins ils écoutent… Avez-vous cette impression ? Ou pas ? Je me permets de vous donner votre avis sur le sujet, mais j’aimerais bien connaître le vôtre sur le sujet.
***
Le danger du « groupthink »
En premier lieu, commençons par une définition. Qu’est-ce que c’est le « groupthink » :
Selon Wikipédia, voici la définition
« La pensée de groupe (en anglais groupthink) est un phénomène psychosociologique de pseudoconsensus survenant parfois lorsqu’un groupe se réunit pour penser et prendre une décision : le groupe se donne l’illusion de penser un problème et de parvenir à une décision bonne, alors qu’en réalité la pensée individuelle et collective est paralysée par des mécanismes nocifs de dynamique de groupe. (Note : pour clarifier, on pourrait donc nommer cela non-pensée de groupe.)
Le phénomène a été décrit par William H. Whyte dans Fortune en 1952. Irving Janis, en 1972, approfondit et détaille ensuite ce concept qui décrit le processus selon lequel les individus d’un groupe ont tendance (plutôt considérée comme péjorative) à rechercher prioritairement une forme d’accord global plutôt qu’à appréhender de manière réaliste la situation. »
En fait, ce qui a débuté notre réflexion à la base était le « profil » de personne que les gestionnaires recherchent dans leur organisation, quelles soit professionnelles, formelles ou informelles ? Par le biais des philosophies de gestion des « grandes écoles de management », intuitivement ou formellement, les gestionnaires ont depuis au moins les 20 dernières années, recherché un nombre limité de profil type de gestionnaires. Les entreprises ont favorisé ainsi des personnes extraverties, affirmatives, dirigeantes avec en penchant sur le contrôle et la rationalité, focalisant les efforts sur une performance et une productivité à court terme.. Un profil, tant masculin que féminin, qui s’est retrouvé dans toutes les sphères de notre vie au fur et à mesure de l’évolution de notre économie.
Et puis, un grand nombre de test psychométrique sérieux et moins sérieux ont permis aux gestionnaires de donner des noms précis à ce qu’ils recherchaient comme profil : Des Rouges, des « D Fort » selon le « DISC », des « Sentinelles » selon les MBTI, des « Haddock » selon la méthode des personnages de Tintin, et une quantité d’autres test plus ou moins sérieux.
Donc finalement, les gestionnaires dans leur recherche formatée de profil précis se sont entourés, consciemment ou inconsciemment, d’un type de personne précis et semblable. Ces gestionnaires se sont regroupés entre eux, et sont montés dans les sphères du pouvoir de leur organisation et de leur monde. De plus, comme les critères de sélection sont souvent axés sur les expériences passées, le cercle de la recommandation vers le haut débute dès le jeune âge. Ainsi, il s’agit que le gestionnaire soit sélectionné à la base dans un rôle ayant les caractéristiques recherchées, qu’il devienne par la suite un candidat pour le poste suivant, et gravi les échelons de cette façon. Finalement, les Grandes Corporations se retrouvent dirigées par le même type de personne et par la mobilité professionnelle en accélération, nous nous retrouvons avec un phénomène de spirale vers la standardisation,
Et le modèle se répète encore et encore jusqu’au bout, jusqu’au moment où le modèle s’écroule, comme une « Pyramide de Punzi ». C’est alors la crise.
On recherche alors un nouveau modèle… Mais dans ce chemin, je constate que le débat s’appauvrit. Dans le but d’efficacité, ou de remplir les exigences du « court terme » et au nom de la productivité, peu de gens remettent en question le modèle. Ainsi dans le modèle des gestionnaires, il nous faut des personnalités exigeantes, solides et à la limite intrasigente et surtout exit les intuitifs, exit les sentimentaux, exit les dérangeants. « Nous n’avons pas le temps de nous attarder à réfléchir le modèle de gestion », nous diront ces gestionnaires. « Et puis, ça marche pour moi, il n’y a pas de raison que ça ne marche pas pour les autres ». La gestion « myope » des organisations nous empêche de prendre le recul, et nous mettons en marche à plein notre « système 1 » avec tous ses biais cognitifs que cela implique (voir la Note 1).
Et finalement le cercle du « groupthink » se met en place et on répète toujours et toujours les mêmes mouvements, les mêmes réflexions. Car à la longue, les individus qui pourraient faire avancer le débat ne sont plus à la table, le système les a rejetés dans le but de « s’auto-réguler ».
Pas seulement dans les Grandes Corporations
Certains d’entre vous diront « oui c’est vrai dans les Grandes Corporations mais pas chez nous. Nous sommes une PME (ou une ETI) et tout le monde a le droit de donner son opinion… » Mais est-ce vrai ? Car si les Grandes Corporations ont recherché des « gestionnaires court terministe depuis longtemps », elles sont aujourd’hui à la recherche de « l’entrepreneur » ou mieux, « l’intrapreneur » soit un entrepreneur qui se conformera aux normes internes. Nous cherchons les gestionnaires idéaux, qui prennent leurs responsabilités, et portent les projets, et qui se sentent investi de leur mission, pas uniquement pour les résultats financiers et à court terme, mais aussi afin qu’ils prennent aussi la part de responsabilités. Ces responsabilités commencent à peser lourd sous les épaules de ces dirigeants qui ayant l’habitude de contrôler, se retrouve devant les responsabilités nouvelles, ou des intérêts nouveaux. Mais là aussi, le risque du « groupthink » est aussi présent. Trop souvent, nous avons le réflexe de chercher le « profil idéal » qui devient de la « discrimination positive » envers une certaine partie de la population à défaut d’une autre.
Les médias ont abondement parlé des dérives des médias sociaux et plus particulièrement les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) dans le domaine du profilage marketing. (Voir la note 2).
Ces corporations admirées par certains, et démonisées par d’autres, ont démontré la force du « Groupthink », plus particulièrement depuis l’élection d’un certain Président Américain, de l’influence présumée de certaines puissances étrangères sur l’opinion collective, et finalement la reconduction au pouvoir de dirigeants autoritaires en Russie et en Chine. En centralisant les informations compatibles aux mêmes types de personne, avec les mêmes logarithmes de personnalité, nous renforcissons alors les mentalités, créant ainsi des idéaux collectifs et centralisant le pouvoir dans quelques idéologies précises.
Le phénomène est le même dans les clans de la « gauche ». Les groupes sociaux favorisent maintenant la « diversité pour tous », « l’égalité à défaut de la productivité » et la « discrimination positive » qui donne le droit à un groupe de passer devant les autres sous prétexte que ce groupe se sentait défavorisé par le passé. La réflexion altermondialiste est maintenant la nouvelle norme chez les « gauchistes ». L’idée que les méchants corporatistes et le gouvernement détiennent tous les biens et que le pauvre peuple devrait en profiter, sans avoir à prendre de risque, et surtout sans y contribuer. « C’est normal qu’on me donne, moi je n’ai pas d’argent et je suis malade ». Encore une fois, même ce courant qui se dit ouvert à l’échange et la discussion se retrouve polarisé dans son propre débat, et stimule à son tour ses propres troupes pour la « révolution ».
Les clans se séparent, et le débat se polarise. Maintenant, il n’est plus possible de rester « neutre », la pression de notre groupe d’intérêt est telle qu’il faut nécessairement être « pour » ou « contre ». En fait, que ce soit les « pour » ou les « contre » chaque clan organise leurs arguments, et se stimule les uns et les autres. Les « uns » débattent avec les « autres » dans la mesure où ils sont en mesure de les convaincre. Mais comme les options sont de plus en plus concentrées, la communication entre les « pour » et les « contre » se raréfie. Et finalement, le débat social s’appauvrit, et le fossé se creuse entre les « pour » et les « contre ». Et par souci d’exister, chacun est obligé de prendre une place dans ce débat et de prendre position. On ne peut rester neutre. Socialement, il faut avoir une opinion, et choisir son camp.
Ce que j’en dis moi…
Ce que j’en dis, c’est que toutes ces valeurs sont utiles et même importantes pour notre société. Mais à rechercher le modèle idéal, facile et rapide et efficace, on limite la diversité des idées et des pensées. On exclut tout ce qui est contre le « courant d’aujourd’hui ». Et sous prétexte de vouloir corriger des situations du passé, on utilise des courants contraires afin de justifier ces mêmes courants et démontrer que ce sont notre propre modèle qui a conviction.
C’est que la force est dans le débat et dans les différences d’opinions. Il faut avoir le courage de se lever et d’accepter le challenge des idées sans être fermé aux siennes. Car qui dit débat, dis aussi accepter de changer d’idée. Autrement, vous n’êtes qu’un autre « tyran des idées ». Et même si vos idées sont les meilleures
Finalement …
Lors de mon dernier voyage, j’ai vu l’excellent film « Wizard of Lies » produit par HBO qui raconte la gloire et la déchéance de l’empire de « Bernard Madoff » avec Robert de Niro et Michèle Pfeiffer. Je vous le recommande fortement. Vous y verrez les dommages que peut faire le « groupthink » lorsque l’on arrive à ce point. Des milliers, voire des millions de personnes ont perdu leur vie simplement par ce phénomène dangereux. Comment ces milliers de personnes, en suivant justement l’idéologie du moment, en cessant de réfléchir ont suivi leurs illusions en donnant leur fortune à un homme et ont tout perdu. Aussi, comment Madoff et ses sbires ont exclu autour d’eux tous ceux qui pouvait remettre en question leurs façons de faire. Tout comme d’autres chefs d’État ont fait dans l’histoire, les « dissidents » se sont retrouvés au « pilori » sacrifié au nom de la cause. Et finalement, sous le prétexte de la bonne gestion et de la recherche du résultat facile, immédiat et spontané, des milliers de personnes ont permis l’une des plus grandes arnaques des dernières années. (Voir note 2)
Et vous, qu’en dites-vous ?
Dans le but d’avoir un véritable débat, voici quelques questions :
- Est-ce que vous réussissez à vous entourer de personnalité forte issue d’autres courants idéologique, sociologique ou politique que vous ? Dans votre vie ? Dans votre gestion ?
- Pouvez-vous affirmer que vous écoutez véritablement ce que ces personnalités fortes, différentes de vous ?
- Assumeriez-vous une décision prise par un collègue qui n’est pas de votre courant idéologique ?
- Et finalement, que considérez-vous lorsque prenez vos décisions ? Est-ce l’opinion des personnes qui ne sont pas de votre courant idéologique compte vraiment, ou vous ferez à votre tête de toute façon ?
En privé, ou en public, n’hésitez pas à m’interpeler sur la question. Je suis curieux d’en discuter ouvertement avec vous.
À vous les micros!
Stephane
Note 1 : Voir la chronique de Centaurus : Vous êtes débordé, quelle est la vitesse de votre cerveau.
http://www.centaurus.ca/centaurus/vous-etes-deborde-quelle-est-la-vitesse-de-votre-cerveau/
Note 2 : Voir les références suivantes:
https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0301179611661-de-gafa-a-very-baad-2146576.php
Note 3 : Reference au film « Wizard of lies »